Souvenirs...

Publié le par Mamanie


Extrait de "Mon herbier". Annie Laute

Le village de Mauves, sur le plateau, part d'un haut de côte, s'étale sur une seule rue et dégringole doucement vers une rivière : l'Huisne, réputée pour ses truites saumonées.
En haut du bourg, un clocher élégant, recouvert d'ardoises, porte la marque du XVIIe siècle et signale l'église Saint-Pierre, rescapée des guerres de religions, parée sur le versant droit d'une modeste horloge solaire.
La cloche sonne tous les quarts d'heure. Les proches voisins se plaignent de ce rappel du temps qui s'écoule... et même, certains vendent leur maison !
" Oui, ben faut y vivre à côté de c'te clocherie-là ! pa'ce que c'est pas toujours l'alleluia ! ", répondent les plaignants à ceux qui, au contraire, s'enthousiasment de la joyeuse envolée de cloches.
Tout près, le presbytère avec le jardin cultivé en carré, était planté de simples ou de fleurs multicolores. Les hampes des glaïeuls rivalisaient de beauté avec les dahlias, grandes fleurs destinées à l'autel de l'église. Des petites fleurs blanches, roses ou bleues poussaient en bordures, pour agrémenter le pied des statues. Une fontaine dite romaine, laissait couler une eau claire, et pétillante à boire...
Aujourd'hui, le presbytère est devenue une maison de plaisancier, il a été vendu... car il n'y a plus de curé !
Au grand désespoir des anciens qui sont obligés d'aller, dans d'autres églises pour assister à la messe. Une fois, c'est à Mauves, une fois, c'est au P..., à la C.-M...
" Qu'voulez-vous pu'personne n'veut êt'curé d'nos jours ! ".
D'ailleurs les cloches ça trompe les anciens quelquefois...
" Eh ! Père Jules, c'est-y la messe qui sonne ? "
" Mais non, c'est l'gars Pierre qu'est mort... "
" Ah ben, c'ty là, l'a ben vécu. Qui monte là-haut ! I l'a ben mérité, nom de Dieu ! ".
Les maisons aux toits de tuiles rousses, dominent la vallée de l'Huisne. C'est un village-rue. On dit ici, qu'il a été construit à la lorraine, car Marguerite (de Lorraine) y a vécu avec ses enfants. Il existe d'ailleurs toujours son grenier à sel, où l'on peut y voir ses armoiries, gravées sur la souche de la cheminée.
Les devants de porte sont larges, herbeux, car il y a quelques années encore, les artisans, comme le maréchal ferrant alignait ses charrettes à foin, le temps de la réparation. "Dans son atelier se montaient les roues de bois, se mariant à chaud avec les fers gigantesques qui les baguaient et fabriquaient des tonneaux dont les douelles semblaient se plier à la volonté du faiseux. Tous ces appareillages naissaient du savoir-faire des charrons "(1).
Le bourrelier fabriquait des selles de cuir pour les chevaux, et il n'était pas rare, de voir attachés devant son échoppe, sur l'herbe du trottoir, des percherons puissants, ronds, pommés, la crinière nattée et embellie, le jour des comices, de rubans rouge et vert.
Les propriétaires des maisons bourgeoises y paradaient avec leurs attelages légers à deux roues. Les livreurs, à l'heure de midi, donnaient à manger à leurs chevaux : ils puisaient un picotin d'avoine, le chanfrein, le ganache et les naseaux enfouis dans des sacs profonds, attachés sur leur cou.
En octobre, des tas de pommes attendaient d'être transformés en cidre.
En bas du bourg, en allant vers Saint-Ouen-de-la-Cour, on traverse trois ponts qui enjambent la rivière. Ce sont les ponts Catinat. Ils datent de 1600. Le premier est le plus grand. Il a quatre piles. La rivière ne passe que sous l'un des arcs. Les autres sont à pieds secs et lieux de rendez-vous des amoureux...
Un peu plus loin, après le troisième pont, sur la droite, dans un chemin longeant la rivière, il y a un vieux lavoir.
Il n'y a pas si longtemps, les femmes du pays venaient y laver ou y rincer le linge de leur maison.
Il était en bois. Sa porte grinçante s'ouvrait sur un plateau que l'on descendait, à l'aide d'une poulie, au ras de l'eau. Puis chacune posait à terre un carosse (2), rempli de paille pour ne pas se blesser, et agenouillées, courbées, elles plaçaient leurs pièces de linge sur la rambarde de bois, inclinée vers l'eau, pour savonner, battre, et frotter.
Chacune avait ses pratiques. Seuls le savon de Marseille, la brosse à chien-dent, le battoir, étaient de mises pour ne pas polluer l'eau de la rivière.
Puis, pour rincer, elles jetaient d'un geste large, la pièce de linge dans l'eau, et par un tour de main vif et expert, faisait gonfler le tissu comme une grosse bulle et maintenait celle-ci, par un va et vient du poignet. Plusieurs fois répétés, ce geste assurait un rinçage parfait.
Les poissons habitués au silence de l'eau et aux clapotis légers, fuyaient les coups de battoirs et le bavardage incessant, sous les berges et restaient cachés le temps de la lessive...
D'ailleurs, on y lavait toutes sortes de lingeries : "les chemises à floquets, les culottes en droguet, et même tout le linge sale du pays, à coups de langues de harpies... "(3)
" Et la Marie, qu'est-ce qu'el d'vient à ct'heure ? "
" Ben s'est faite engrossée par l'gars Jean... "
" C'est ben fait, ell'a qu' a pas traîner... "
" T'es méchante la Jeanne ! C'est pas sa faute... si ton homme l'avait pas cherché, elle t'aurait pas fait cocue ! "
Les méchantes langues avaient souvent le dessus.
Lorsque les femmes avaient terminé leur lessive, elles acceptaient de nous céder la place pour laver nos babioles. Nous répétions, avec talent, leurs gestes et leurs paroles, ainsi nous prenions plaisir à faire enfler les draps de nos poupées... et à dire du mal de la voisine ! Ces savoir-faire, c'est la Louise qui me les a enseignés
Il était le lieu de rendez-vous des lavandières mais aussi des jeunes du pays qui venaient y faire la cour à la jeune fille de leur cœur...
Lorsque le soir, le petit lavoir, débarrassé des draps, serviettes et mouchoirs, cédait la place à la tendresse des baisers volés et des amours extra-conjugaux, la rivière alors, brillait et une légère brume, cotonneuse à souhait, enveloppait les ébats amoureux...
Aujourd'hui, son toit, chargés de tuiles rousses pend lamentablement en avant, vers l'eau qui semble l'attirer inexorablement ; plus de porte, plus de poulies, plus de rires et de chansons...
Attenant au lavoir, un cabanon enfermait un alambic, qui servait à obtenir de l'eau-de-vie. Cet outil nous faisait penser à l'instrument du diable, car il était défendu de fabriquer de la " gnole "...
Tout est pratiquement démoli par l'érosion du temps, personne n'ayant eu l'idée ou la volonté de préserver la mémoire de ce lavoir qui pourtant a été témoin de tant de pratiques et pourrait en raconter des histoires, les ragots et des vies...
1 Robert Rotrou, citation d'une chanson du chanteux du Perche (dcd)
2 Boîte en bois, ouverte sur le devant que l'on calait contre la boiserie du lavoir et permettait aux femmes de s'agenouiller pour laver. Chacune avait le sien.
3 Robert Rotrou.

Publié dans Mon herbier

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T
Ah la fabrication du cidre dans notre cité ardoisière! c'était un sacré évènement. Il faudra que je raconte ça surmon 2ème blog un de ces jours. Bises
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J
Un régal une fois de plus ! bravo Annie, c'est un pur bonheur de te lire ainsi !!!
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