A petits pas...
A petits pas...
"Et un, et deux, et trois ! Et un, et deux, et trois" !
Sur le piano, le professeur de musique jouait une valse.
La professeure1 de danse, scandait la mesure et surveillait trente petites filles en train de faire leurs premiers pas dans la grande salle de sport du cours complémentaire.
Je jubilais. Pour la première fois, je portais la petite jupe courte plissée bleue, le corsage blanc et les chaussons de danse que nous devions toutes avoir, pour ce premier jour.
Pour ma part, ma jupe était à gros plis, car c'était maman qui me l'avait confectionnée. Toutes les autres avaient des jupes à petits plis, achetées chez un commerçant... Ce sera la moquerie à chaque séance. Mais pour l'heure, je m'en fichais car j'avais déjà remarqué le sourire de la professeure qui semblait me trouver gracieuse !
Je savais que je dansais bien. Je dansais à la maison avec maman, mon père, mes cousins, mes oncles... On dansait "musette" ! Tonton dansait "salon".
Et là, je faisais une découverte... Nous apprenions à danser sur des grands airs de musique classique ! Je me sentais une âme de petit rat de l'opéra.
Puis, après s'être échauffées, nous nous sommes assises en rond. En tailleur. Les mains posées sur les genoux...
"Ecoutons ensemble le morceau de musique suivant, et vous direz ce que vous ressentez à l'écoute de celle-ci"...
Religieusement, nous écoutions un air, très enlevé, avec une note pointée et des dégringolades de notes doubles...
Cela me faisait penser à la joie. Et je levais le doigt... "Oui ?" "Cela me fait penser à la gaité, à la joie"... Les autres filles donnèrent leur avis... "Et bien, c'est Annie qui a raison !"
"Nous allons essayer de traduire cette gaîté en dansant"... Et là, improvisation et bonnes rigolades !
Comme j'étais fière ! Et de ce jour-là, est née une connivence entre ce professeure et moi qui dura quatre année de plaisirs, de rencontres, d'échanges. Elle s'appelait Mademoiselle Pasquier.
J'ai appris à danser, à écouter la musique, à la ressentir au fond de mon corps, de mon cœur... A chanter, car elle travaillait avec la prof de musique.
Nous avons gagné des concours de danse, de chorale aussi.
La première fois que j'ai dansé sur scène, ce fut "La Barcarolle" ! Et la dernière fois, ce fut sur un poème de Jean de La Fontaine : "le loup et l'agneau". J'étais l'agneau. Manger par le loup. Et ma petite soeur qui était dans la salle, bondée de parents venus pour les prix, s'est mise à crier : "non ze veux pas que le loup mange Nanane !". Elle ne savait pas dire Annie. Tout le monde a éclaté de rire (sauf moi, c'est vrai quoi, çà gâchait tout !). C'était ma dernière année... Mis à part le prix de français, je reçus le prix de danse... Et de camaraderie, d'ailleurs !
Cette année là, il a fallu quitter le cours complémentaire pour travailler. Cette prof a rencontré maman pour lui demander de me laisser faire des études pour devenir prof à mon tour...
Vous connaissez la suite...
Ce fut une grande frustration pour l'adolescente que j'étais devenue...
J'ai continué de danser bien sûr, dans les bals musette !
J'ai toujours pris des nouvelles de Mademoiselle. Elle est décédée, il n'y a pas si longtemps. J'ai pleuré comme une enfant...
Extrait de "Mon herbier" Annie
1Aujourd'hui, on peut dire professeure. Vive le féminisme !