Les haricots verts à la crème...
Je suis très gourmande des haricots verts à la crème !
Je me suis souvent demandé d'où venait cet amour gustatif...
Alors, psychologue avertie, j'ai cherché dans mes souvenirs ce qui pouvait me donner des indications à ce sujet.
Et j'ai trouvé !
Pendant la guerre, j'étais malade, un début de tuberculose. Pour soigner ma santé fragile et mon poumon recroquevillé, maman qui était femme de prisonnier de guerre à cette époque, (c'était en février 1945, elle n'était pas finie cette maudite guerre !), avait décidé de ne pas me laisser aller au sanatorium, loin d'elle dans les Alpes. Elle avait peur que l'on soit séparée et avait choisi de louer une petite maison à la campagne.
Mais cela, je vous l'ai déjà raconté, je crois.
Le fermier qui nous louait sa maison, était venu nous chercher à la gare du village avec sa carriole et son cheval. Et nous avait emmenées dans sa ferme, à l'hôtel (Hatry ? je ne suis pas sûre du nom) pour nous restaurer. En effet, nous avions faim !
A cette époque les voyages en train n'étaient pas sûrs et nous mettions du temps à arriver dans le village : métro, train, changement pour un petit train départemental et carriole à cheval. Tout cela représentait à l'époque bien 6 heures. Je me souviens, le train s'arrêtait très longtemps à Chartres et il passait sur un pont en fer, qui bougeait et le train roulait très doucement... Dans cette région, on voyait encore les traces des bombardements du débarquement...
Arrivés à la ferme, sa femme avait préparé pour nous, un repas. Des oeufs à la coque, des haricots verts à la crème et du fromage blanc avec de la confiture.
Je connaissais les oeufs, mais je ne connaissais pas les haricots verts... Pendant le guerre, en région parisienne il n'y avait pas ce légumineuse là !
Comme je tiquais et refusais de manger ces nouilles vertes, maman qui était une femme du peuple et ne mâchait pas ses mots, me dit : "Mange ma fille, met-en plein le lampion, tu n'en remangeras pas de sitôt ! C'est bon, il y a de la crème..."
Le mot "crème" non plus, je ne connaissais pas ! Et puis, j'avais faim et le fumet qui se dégageait du plat, m'a incitée à goûter... Hum, quel délice ! A l'époque, je ne savais pas que c'était parfumé de thym, d'ail, et d'échalotes...
J'en ai redemandé ! Le fermier ouvrait des yeux tout ronds de me voir me goinfrer de ce que lui, mangeait chaque jour !
La fermière alors, a compris que nous avions été privées de ces bonnes choses... Et elle a donné à maman, quelques pots de haricots verts qu'elle avait préparé, de la crème, des oeufs, pour nous faire plaisir. Ces gens sont devenus des amis de mes parents.
Je suis restée dans ce petit village de février 1945 jusqu'à la rentrée des classes. Entre temps, mon papa était rentré de la guerre en mai, il ne pesait plus que 47 kg. Il revenait de Ravaruska, délivré par les Russes.
Puis, comme vous le savez, je suis revenue chaque année dans ce petit bourg de Normandie, où je suis installée maintenant.
Je continue à rencontrer les enfants de ces fermiers qui avaient compris combien la vie était dure, pour une maman seule avec un enfant, en région parisienne pendant la guerre.